Le ventre de la Baleine
De nos jours, les baleines meurent échouées, le ventre rempli de plastique.
Cela se passe bien en amont, loin de nos villes, dans la profondeur des océans, mais cela dit quelque chose d’insoutenable que nous pouvons au moins tenter de regarder en face.
Au-delà de l’indignation, subie au fil des posts sur l’effondrement de nos sociétés, il est peut-être bon de se poser sur le rivage et de réfléchir ensemble, malgré la culpabilité et l’impuissance qui nous serrent la gorge devant toutes les baleines venues des profondeurs nous offrir leur dernier souffle.
Il fût un temps où cet animal mythique représentait le génie des profondeurs.
Jonas dans le ventre de la baleine, nous dit la Bible, c’est l’extraordinaire histoire d’un homme fuyant son destin, incapable de croire qu’il puisse être digne de la mission que le Ciel lui envoie (annoncer des trucs pas sympas à la ville de Ninive).
Du coup, ayant pris la mer il essuie une tempête et est englouti dans « le ventre de la baleine ».
Il reste 3 jours dans son ventre, avant d’être recraché vivant et transformé (après ça se passe bien pour lui !)… . Transformé, non pas parce qu’il a obéi bêtement aux ordres, mais parce qu’il a pris conscience de la valeur de sa liberté, en restant « enfermé »un certain temps dans les profondeurs.
Dans Moby Dick, le roman d’Herman Melville le capitaine Achab cherche à se venger de cette baleine qui lui a pris sa jambe en pourchassant aveuglément le grand cachalot blanc, au péril de la vie de son équipage et du bateau (je ne veux pas spoiler mais le bateau coule à la fin).
Ces deux histoires nous disent beaucoup de choses, je crois, sur la peur de l’inconnu, sur la peur de nos profondeurs.
En les fuyant on ne fait que rester à la surface des choses, En les attaquant aveuglément, nous courons nous même à notre propre perte.
Il est intéressant de voir que, plus récemment, le mouvement de l’éco-psychologie né aux États-Unis dans les années 50, souligne le lien profond qui existe entre notre psyché (nos profondeurs) et notre environnement.
A tel point que nous souffrons vraiment de voir des arbres abattus, des animaux maltraités, des baleines échouées, des océans souillés… car quelque chose de mystérieux nous relie à notre planète. De quel lien s’agit-il ?
Dans les termes de l’éco-psychologie, une trop grande souffrance ressentie devant la destruction de la nature est le signe que le lien entre notre humanité et notre planète n’est pas reconnu.
Ce lien n’est pas reconnu dans nos sociétés. Cette non reconnaissance occasionne parfois une souffrance psychique si profonde qu’elle peut aller jusqu’au trouble mental.
On dit que le philosophe Friedrich Nietzsche est devenu fou après avoir vu un cocher frapper son cheval.
Ainsi le lien avec nos profondeurs, lorsque nous le perdons ou lorsque nous n’avons même pas l’idée de son existence, ce lien, forcément s’étiole et bascule dans l’inconscience.
En prenant peu à peu conscience du « ventre de la baleine », de cette profondeur de notre histoire personnelle, reliée à l’histoire de nos ancêtres, à celle de notre société et à celle de la planète, on rétablit le lien avec ce qui nous porte, avec un quotidien difficile peut-être mais dans lequel nous sommes plus présent, conscient, acteur de notre histoire.
Les baleines continuent d’ingurgiter le plastique de nos sociétés.
Nous nous considérons en dehors, à part et non inclus dans les écosystèmes de notre planète (le seul terme d’environnement suggère que la nature nous « environne et le système de croyances dans lequel nous vivons nous fait croire que nous sommes autonomes dans nos villes et dans notre modernité).
Nous restons ainsi collectivement à la surface de notre histoire, coupés, sans le savoir, d’une source vitale.
C’est un constat qui n’appelle pas de critique ni d’auto- flagellation mais qui demande à ce que nous continuions de faire des prises de conscience courageuses.
Quelques pistes ci-dessous pour passer des caps, ça vaut ce que ça vaut mais c’est inspiré de la sagesse de nos ancêtres et de celle des peuples premiers qui vivent AVEC la nature.
La mort des baleines, que notre cœur ne peut plus voir disparaitre, c’est la possible prise de conscience de nos profondeurs, c’est partir d’un autre espace que celui de la peur ou de la colère aveugle, pour agir.
Première étape : faire un état des lieux personnel et global de nos forces, de nos faiblesses, de nos peurs, de nos échecs…
Deuxième étape importante : accueillir le sentiment d’impuissance et de colère parce que cela nous rend vivant (bien respirer)
Troisième étape : sentir toutes les possibilités créatrices en soi, se laisser inspirer, prendre le temps (le ventre symbolise, vous l’aurez compris, les profondeurs et l’intériorité, ça vaut le coup de leur faire une place)
Quatrième étape : mettre en œuvre un plan pour Soi, panser les plaies, cicatriser, prendre le temps d’aller bien,
Cinquième étape : partir d’un espace d’inspiration profonde, d’autonomie tranquille, pour agir. Retrouver le contact, poser des actes qui ne partent plus ni d’un espace d’inconscience, ni d’un espace de peur.
Sixième étape : la plus difficile finalement à réaliser dans nos quotidiens affairés : enjoy life.
Wim Ellul